Une vieille et sage femme !  



Je suis une vieille et sage femme, la mère de l'humanité en somme, j'ai vécu il y a très, très longtemps, dans un pays où le soleil brillait toujours.

A mon époque, ni le feu ni les vêtements n'existaient. Je n'avais jamais entendu le mot «guerre » non plus. Je me nourrissais principalement de fruits et de plantes comestibles. J'essayais également des fois d'attraper une petite gazelle qui broutait dans la savane mais elle était trop rapide pour moi et je n'insistais pas.

A l'heure du repas, il me suffisait de tendre la main vers les branches d'un arbre, ou plutôt de grimper car j'étais de toute petite taille, sous lequel je somnolais à son ombre et me régalais des fruits juteux. Je faisais aussi une petite guerre avec les dinosaures herbivores qui partageaient souvent les arbres avec moi.

Pour les déloger j'avais mes astuces. Je leur piquais au bout de leurs pouces un bâton. Ainsi ils pensaient que l'arbre était infesté de fourmis et changeaient de place. Pour ce qui concerne les mammouths que j'estimais prendre trop de place pour boire de l'eau aux rivières, je leur jouais exactement le même tour, sauf qu'eux croyaient certainement mon bâton un crocodile. Ainsi la vie s'écoulait tranquillement. Alors quand je ne piquais pas un petit somme sous les arbres je courais à travers des collines et des savanes libre mais libre comme l'air ! Et la maladie ? Dites-vous ?

Ah ! La maladie ! La maladie, était pour moi quelque chose de mystérieux et une ennemie invisible. La première fois que je suis tombée malade, j'essayais de me battre contre elle. Mais c'était impossible car je ne la voyais pas. Puis j'ai couru à travers les plaines pour la semer. Rien à faire, elle était toujours là quelque part en moi !

Puis je suis entrée dans une grotte pour me cacher d'elle et je n'en suis jamais ressortie.

Ensuite les années passèrent et des couches successives sédimentaires m'ensevelissaient. Ensuite, mes os se reproduisirent et sont devenus un peuple à part entière. Mais au fur et à mesure que la population ici-bas augmentait les conflits se multiplièrent. Un jour la tribu de la rive gauche accompagnée de leurs alliés attaquèrent les habitants de la rive droite qu'ils accusaient de monopoliser toutes les économies du monde sous-terrain.

- Quoi ? Ils nous attaquent ! Nous qui sommes les meilleurs et les plus démocrates de tous les peuples sous terre ! S'exclama leur chef.

Oh ! Les misérables terroristes, vous allez payer cher. A l'attaque !!!

La riposte fut sanglante. Et les autres revenaient à la charge pour se venger. Ici-bas devint invivable ou plutôt impossible de reposer en paix. Ensuite il devint nécessaire de négocier. Les négociations furent difficiles, houleuses mais chacun a dû faire des concessions et des décisions ont été prises.

Chaque adversaire devrait reculer d'une certaine distance pour s'éloigner de l'autre et la colonne vertébrale devrait servir de frontière commune aux deux tribus rivales mais aussi une voie de communication où passerait les ordres, les conseils et les nouvelles qui venaient de Big Brother « Le cerveau » transmis par la tête qui serait le porteur de nouvelles et le postier du pays ici-bas. Ainsi les habitants de sous terre apprirent la disparition totale des dinosaures et des mammouths après qu'une grosse météorite eut heurté la terre. Quant à la terre, elle s'est cassée en cinq morceaux qui dérivaient en directions différentes et se prénommaient des Continents.

- Quels noms a-t-on donné aux « Continents » ? Sur quel morceau sommes-nous  ?

Les questions venaient de toute part mais le postier (la tête) ne pouvait répondre à aucune car elle n'en savait rien elle-même. Et puis plus rien d'autre, les messages de la tête s'arrêtèrent là. Les os pensaient que le cerveau et la tête s'étaient retrouvés sur un morceau de continent qui a sûrement dérivé ailleurs et se préparaient à se passer de leurs présences. Mais un jour, au pays des os on entend : Je veux aller faire la guerre, je veux libérer mon continent, je veux me battre contre les envahisseurs...

Chaque habitant arrête ses occupations quotidiennes et se retourne pour voir qui chantait ainsi. C'était la tête qui claironnait joyeusement.

- Te battre contre qui ? La question est posée en chœur.

- Ma parole ! Vous n'êtes au courant de rien ! Contre les colonialistes bien sûr !

Les os ne comprenaient pas plus et continuaient à la regarder bouche bée.

Les Mzungus quoi (les blancs). Pas plus de compréhension, au contraire on pense qu'il a perdu la raison.

- La pauvre tête, a-t-elle perdu le cerveau ?

- A mon avis ça fait longtemps qu'elle est vide !

Ce sont les pouces de pieds, intrigués et en même temps dépités qui jasaient derrière son dos ainsi. Puis voilà que la tête réalise que s'expliquer davantage devant ses compatriotes ne lui servirait à rien, or c'est un peuple sans tête ni cerveau. Elle part au galop en leur lançant : « mes amis retenez le « Mzungu » si vous le pouvez et restez cachés je viendrais vous chercher une fois que la guerre sera terminée, quant à moi je pars pour rejoindre « les gorilles » Il se rattrapa et dit : « que je suis bête, je veux dire les guerriers ».

Ensuite de temps à autre un ou deux des os pointaient le bout du nez pour voir où en était la guerre avec la tête et ses descendants mais il y avait toujours de gros chars qui roulaient en déracinant les arbres, des bottes des soldats qui résonnaient à travers la forêt, des rafales de balles qui sifflaient dans les vallées et des têtes qui se battaient en bataille rangée ici et là. Ils étaient certains aussi que les descendants de la tête se battaient bravement car il y avait de plus en plus d'os qui arrivaient chez eux. Un jour quelqu'un se jeta au-dessus de leur cachette avec un engin très lourd à la main. C'était un journaliste occidental qui est venu couvrir la guerre sanglante que se livraient les têtes depuis des décennies dans cette partie du monde pour une chaîne de télévision de son pays.

C'est un Mzungu ! Sauve qui peut ! Hurlèrent les os, mais c'était trop tard, le journaliste était en train de mitrailler son appareil photos sur le lieu et commençait à griffonner des mots sur son calepin en se parlant à lui même à voix haute : des os fossilisés, probablement vieux de plusieurs siècles, découvert en l'an 1974, lieu : la Rift vallée éthiopienne.

Les semaines qui ont suivis la découverte des os ont été agitées. Toutes sortes de cameramen et de savants débarquaient sur le lieu. Les archéologues grattaient le sol en tout sens et récoltaient mes os un par un et reconstituaient mon corps entièrement et me donnèrent même un joli nom. Alors, heureuse ? me direz-vous ?

Et pourtant ! Et pourtant ! Je ne suis pas heureuse du tout. Il y a quelque chose qui m'échappe !

- Pourquoi les descendants de ma tête continuent-ils à faire la guerre ? Ne voient-ils pas qu'il n'y a plus de Mzungus et encore moins de Colonialistes à l'horizon depuis 70 ans ? Pourquoi ils ne réfléchissent pas? Oh, qu'est-ce que j'aimerais savoir ce qui ne va pas chez eux !


Lucy




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